"Au théâtre, comment se serait-elle nourrie

"Au théâtre, comment se serait-elle nourrie de ces jeux de lumières et de corps, de ces musiques sans cervelle, qui n'étaient qu'une aggravation de sa solitude? Dans le demi-jour de la loge, Bérénice retrouvait l'avantage qu'une robe mal faite lui enlevait.  Aurélien... impossible de ne pas voir qu'il était aveugle et sourd à tout ce qui n'était pas Bérénice. Jusqu'alors Blanchette avait voulu, contre son inquiétude profonde, prétendre que l'attrait de Leurtillois pour la petite cousine était une fantaisie d'Edmond. Elle était arrivée à le prétendre pour elle-même aussi bien que pour Edmond. Mais ce soir, elle savait qu'elle allait souffrir. Elle ne savait pas qu'elle allait souffrir autant. (...)
Comme elle se détournait de ce ballet de fleurs, où les couleurs et la joie, les pirouettes et les danseurs, l'éclat des cuivres, tout lui était insupportable, elle vit l'expression sur le visage d'Aurélien, et elle en resta saisie. Oh, cela était pis encore qu'elle ne l'avait éprouvé! Il l'aime. Il l'aime. Il l'aime. Les deux douleurs se fondaient, prenaient l'une et l'autre une insupportable intensité. La femme dédaignée pouvait maintenant sans péché regarder Aurélien, puisque, ce qu'elle pleurait avec des yeux secs, c'était Edmond aussi bien qu'Aurélien."

(saut de 166 pages)
"... elles étaient restées seules ensemble, des heures, et la folie de Blanchette, sa douleur, avaient atteint des proportions incroyables. (...) Il n'y avait pas de délire auquel elle ne se fût abandonnée dans ces heures-là. Il y avait eu le moment où elle s'était jetée aux pieds de Bérénice, pour lui demander s'il lui arrivait quelque chose de s'occuper des enfants. Bérénice, qui ne la comprenait pas, n'avait eu d'abord là-devant qu'un mouvement de dégoût...
C'était alors que Blanchette avait supplié Bérénice de lui garder le secret de son amour pour Aurélien... de ne rien en laisser deviner à Edmond, de le maintenir dans l'erreur où il se trouvait..."

Ha! quel écho cela réveille...! impossible d'oublier... impossible... ha! la cruauté des souvenirs qui ne veulent pas s'effacer !