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Deep in the Darkness
Deep in the Darkness
17 mai 2007

Pierre Drieu la Rochelle

Drieu_la_RochelleNé en janvier 1893 et mort en mars 1945, Pierre Drieu la Rochelle est l'un des écrivains les plus mal aimés de sa génération. Il faut avouer qu'il a tout pour... Marginal et peu apprécié dans le milieu littéraire après sa rupture avec les surréalistes, antisémite, collaborationniste, il se suicide peu après la Libération. A côté d'Aragon, de Breton, de Malraux ou d'Eluard, ses contemporains tous engagés dans la Résistance, il est vrai que cela fait piètre figure.
Son oeuvre est peu connue, bien que reconnue comme de qualité par les érudits de la littérature française des années 20 et 30. Il a deux romans majeurs à son actif : L'homme couvert de femmes et Gilles (il y en a d'autres, mais ce sont les moins inconnus...), et deux essais principaux : Le Jeune Européen et Genève ou Moscou, très représentatifs du mal-être et de l'indécision de la génération de l'entre-deux guerres.

Le Jeune Européen met en parallèle la déroute individuelle du narrateur (dont la ressemblance avec Drieu est claire) et la déroute nationale et européenne, et s'interroge sur le désaccord international général. Genève ou Moscou dégage l'alternative peu satisfaisante qui se pose aux intellectuels des années 30 : ou bien la politique pacifiste et inefficace de la Société des Nations, ou bien l'engagement dans le communisme soviétique autoritaire et asservissant.
Le portrait sans fard que dresse Drieu la Rochelle de l'un et de l'autre (même s'il privilégia au début la politique de la SDN) le conduira, comme on le sait, à ne choisir ni l'un ni l'autre, et à privilégier la "troisième voie" du fascisme hitlérien, pensant y trouver un remède à ses propres contradictions et à la décadence matérialiste des sociétés modernes. Ce choix malheureux l'a condamné aux yeux de la postérité littéraire.

Cependant, il faut nuancer quelque peu ce que la postérité et la légende noire ont fait de lui. Certes, il était très probablement antisémite, puisque ses contemporains sont unanimes sur ce point. Mais, contrairement à Giraudoux, qui publie Le Péril Juif en 1939, et à Céline qui écrivit des pamphlets incendiaires et répulsifs sur les Juifs (Bagatelles pour un massacre, L'Ecole des Cadavres, Beaux Draps), Drieu n'a JAMAIS fait de déclaration formelle en ce sens, et n'a jamais été un propagandiste raciste. On peut tout au moins respecter cette absence de virulence pamphlétaire chez lui.
Ensuite, il est vrai que Drieu la Rochelle fut nommé directeur de la NRF sous l'Occupation de 1940 à 1943, en remplacement de Jean Paulhan, et qu'il engagea la revue dans une politique de collaboration très claire. Mais, ce que ses contemporains n'ont pas su, et que peu de gens savent, aujourd'hui encore, c'est que ce choix n'avait rien de gratuit. Au contraire, il résultait d'un "deal" conclu avec Otto Abetz, l'ambassadeur d'Allemagne à Paris, qui était aussi un ami de Drieu la Rochelle : en échange de l'engagement de la NRF dans la collaboration, les forces de l'Occupation devaient s'engager, en la personne d'Abetz, à ne pas toucher à un cheveu de la tête de quatre personnes, alors même qu'il était évident qu'elles étaient passées à la Résistance : Paulhan, Eluard, Malraux et ... Aragon, avec qui il avait pourtant rompu violemment en 1925 et qu'il haïssait maintenant cordialement.
Malgré cela, Jean Paulhan fut arrêté en 1941. Et qui intercéda auprès de la Gestapo et le fit libérer? Drieu la Rochelle.
Et la preuve que ses contemporains, s'ils ne furent pas au courant du "deal" durant la guerre, ont pour le moins compris que le rôle de Drieu n'était pas purement collaborationniste, c'est qu'à la Libération, lorsque la presse, Aragon en tête, se déchaîna contre les écrivains collaborationnistes et lança une véritable chasse aux sorcières sur eux, il ne fut pas fait mention une seule fois du nom de Drieu la Rochelle...

Voilà pour les choix et les actes politiques de Drieu. Après, il faut noter que je ne défends pas l'homme parce que je le cautionne : je n'ai pas spécialement une grande sympathie pour lui. C'était un obsédé des femmes, qui revendiquait publiquement le fait d'aller au bordel, alors même qu'il était marié, et un homosexuel latent; pourtant il n'a jamais cédé à cette tentation, vis-à-vis de laquelle il éprouvait une véritable répulsion - mais dont il reconnaissait plus ou moins l'attirance qu'elle avait sur lui. Il affichait également son nihilisme et son dégoût de la vie, attitude peu réjouissante s'il en est. Enfin, la littérature, à ses yeux, n'avait rien de glorieux : pour lui, écrire, c'était renoncer à la vie, s'enfoncer dans un anonymat nauséeux et léthargique; et il va sans dire que je ne suis pas d'accord du tout avec lui sur ce point.

... Et pourtant il faut rendre à l'homme cette justice que, s'il a fait l'erreur de croire au fascisme, il ne s'est pas engagé gratuitement dans la collaboration avec le nazisme, et a pris conscience de l'ampleur de son erreur en 1943 - date de son départ de la NRF et de sa première tentative de suicide. Il faut lui reconnaître une fidélité souterraine et sans faille à ses amis de la première heure, Aragon, dont il protégea la famille, Paulhan, qu'il sauva de la déportation, et Malraux, qui fut son exécuteur testamentaire. Et enfin, il faut lui concéder un indéniable talent littéraire : s'ils n'ont pas l'éclat du Paysan de Paris d'Aragon ou la puissance des Conquérants de Malraux, L'homme couvert de femmes et Gilles n'en sont pas moins de grands romans. Ils peignent excellement le désarroi et la fuite en avant de la génération arrivée à l'âge d'homme en 1914, qui a fait la guerre et en sort incapable de se réadapter au monde courant. S'il n'a pas l'éclat de celui d'Aragon, le style de Drieu est brillant; il n'éclate pas dans des phrases-choc qu'on trouve à la pelle chez Malraux, mais il envoûte le lecteur dans la durée, et il n'y a pas moins de profondeur en lui qu'en celui de Kessel (Les mains du miracle, L'Armée des Ombres) ou d'Aragon dans Aurélien.


En un mot, je n'approuve ni l'homme ni ses choix, mais je m'incline devant certaines de ses actions, et devant son talent. Il ne mérite peut-être pas d'être réhabilité, mais ses livres, si.

Pour d'autres posts sur le sujet, allez voir sur Cogitorebello, un blog qui se penche sans états d'âme sur des auteurs souvent marginaux ou peu connus, pour les passer à la moulinette critique... :) ou encore sur Stalker, qui présente un article très bien fait sur Drieu la Rochelle et la mort.

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Commentaires
B
Et bien quel article !<br /> Chapeau :))<br /> Tout à fait d'accord pour une réhabilitation des livres de PDLR. Mais il n'en demeure pas moins qu'un écrivain est un homme et ses convictions l'habillent tout autant que son talent.
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