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Deep in the Darkness
Deep in the Darkness
31 mars 2008

Remembrance

Remember____by_black_eyes


Je l'ai reconnu au premier regard. Instantanément, indubitablement.
C'est dire si sa tête était fichée dans ma mémoire.
Et le souvenir impérissable que m'avait laissé cette époque, aussi intact que si c'était hier, alors que c'était après dix ans passés.
En une fraction de seconde, une rage incoercible m'a submergé tout entier.

Je m'en suis rendu compte assez vite pour que personne ne me sorte "Wombat, ça va? Je ne t'ai jamais vu comme ça"
"Ca va passer" j'ai grogné entre mes dents.

J'ai eu d'abord envie de faire comme si je ne l'avais pas reconnu. De le côtoyer comme si de rien n'était.
On a installé les filles dans le car, vérifié les ceintures, échangé trois mots mine de rien
Mais je sentais que ce n'était pas possible.
Alors, j'ai respiré un bon coup, et, au lieu de céder à la colère sans préambule et de le snober, j'ai tenté d'être un tant soit peu cool.
J'ai profité d'un moment d'accalmie où on était tous les deux dans l'allée du car pour lui sortir un truc comme "hé, je ne te savais pas chef scout, ça fait longtemps depuis la 3e". Un truc pas cassant en tout cas.
Il m'a complètement ignoré, s'intéressant exclusivement à sa co-chef qui se trouvait loin derrière moi. Et brusquement, dès que j'ai fini ma phrase, il l'a appelée et m'a doublé pour aller la retrouver.
Je lui ai laissé le passage libre sans mot dire.

Deux minutes plus tard, je l'ai regardé de nouveau, et une colère incandescente m'a brûlé les veines.
Il ne m'avait rien fait - ou si peu, et je n'avais qu'une envie, c'était de l'injurier. D'aller le voir avec un grand sourire pour lui balancer mon genou où je pensais et lui lancer
"Tiens, cadeau de la maison. En souvenir de l'année de troisième"
Pour sa manière d'agir comme si je n'existais pas, aujourd'hui encore, comme durant toute cette année. Pour les innombrables fois où son regard m'avait traversé de part en part, ne voyant en moi qu'une sale merde dont l'existence ne valait rien, et m'avait purement ignoré.
Pour tous ces éclats de rire et ces railleries derrière mon dos.
Pour ce fameux classement des filles les plus belles/plus laides.

"Wombat, il manque deux places dans le car; il faut deux chefs pour aller dans le car de derrière. Tu veux partir ou rester ?"
" Y a pas de problème pour y aller; qui d'autre avec moi?... Ok, on y va, à tout à l'heure!"
Et je me suis rué vers le car des louveteaux.
Une heure de trajet avec ce mec, c'était au-dessus de mes forces.
Arrivé au second car, inexplicablement, je me suis retourné une seconde.
Une seconde, pas plus.
Evidemment, je n'ai rien vu.
Mais j'ai hésité. Et s'il n'avait vraiment pas entendu ou pas compris? Si sa co-chef lui avait parlé en même temps? Ou les jeannettes ?
C'est là que ma colère a repris le dessus.
Non mais, rien à foutre de ce mec. Rien à foutre, il peut crever.

Je suis monté dans le car des louveteaux, j'ai rejoint la maîtrise, et on a commencé à délirer comme de coutume.
Mais une partie de moi restait sur son siège sans rien dire, les bras croisés, l'œil mauvais.

Le dialogue intérieur a commencé.
"Wombat, tu vas pas non plus faire la gueule pendant tout le weekend pour ça."
"Non mais t'as vu un peu comment il m'a snobé ce pauvre type? Connard. C'est un connard. Il a pas changé depuis la 3e ce mec. De la putréfaction en boîte."
"Wombat, t'en sais rien en fait. Et s'il avait vraiment pas entendu? S'il t'avait absolument pas reconnu et donc pas compris?"
"Il a entendu, mais il a pas voulu répondre, un connard, un point c'est tout!"
"Bon! - Wombat, d'où tu tiens que c'est un connard?!"
"La 3e je te dis!"
"Oui eh bah?! Il t'a fait quoi précisément en 3e? - rappelle-toi, Wombat! Qu'est-ce qu'il t'a fait comme grosse merde?"
Alors je suis remonté dix ans en arrière...
ses regards méprisants - sa morgue qui m'insupportait - les gnons qu'il m'a filés... - ah - non, pas de bagarres - je ne m'étais jamais battu contre lui en fait - non, c'était plutôt son attitude générale qui m'avait fait chier.
A bien y regarder, il fallait reconnaître qu'il n'avait jamais été dans une coalition contre moi - jamais un ennemi avoué.
"Alors, tu vois!"
"ouais bon scrogneugneu de scrogneugneu, je vois pas pourquoi je ferais des efforts alors qu'il en fait pas."
"Wombat, t'en sais rien. Il a peut-être PAS compris / pas entendu."
"Scrogneugneu"
"Wombat."
"Ouais bon d'accord c'est bon c'est bon, c'est peut-être pas un connard. Mais je te garantis rien de plus."
"Fais un effort. Tu as changé depuis, non? Lui aussi sans doute. Et puis ça serait con de rester bloqué sur vos positions alors que c'est du passé, non?"
"On verra, on verra, pas envie de me prendre la tête"
"Wombat"
"On verra, je te dis. Je peux rien te promettre."

Et puis, par intermittences, durant le reste de la journée, à part moi, j'ai peu à peu laissé revenir les souvenirs le concernant...
- la classe de physique, une matière que je détestais, mais avec un prof sympa - rendu de contrôle - la prof annonçant que cette copie était la dernière en dessous de la moyenne - l'attente générale - personne ne voulait avoir cette copie - l'annonce de son nom et sa copie qu'il recevait - l'explosion de joie générale : tous ceux qui n'avaient pas encore leur copie avaient au moins la moyenne - lui, gagné par le rire général, mais en même temps tête baissée, blessé au fond de lui - une fille qui m'explique que c'est lui le dernier en dessous de la moyenne - la prof à cet instant criant "Mais enfin arrêtez, vous croyez que c'est drôle pour lui?!"
- et me voyant, moi, après avoir eu une peur incroyable d'être cette dernière sale note, d'être très exactement dans la même situation que lui à ce moment-là - tout en n'en revenant pas d'avoir été épargné cette fois-ci - le regarder sans rien dire... regarder cet ennemi, d'ordinaire plein de morgue, devenu la risée de tous - cet ennemi blessé dans sa fierté, et qui, pour faire croire qu'il ne l'était pas, riait de sa propre défaite...
- et l'espace d'un instant, partager en mon for intérieur la blessure de sa fierté, mêlée de cynisme, sa honte cachée et son autodérision affichée - l'espace d'un instant, éprouver de la compassion pour lui.

Au souvenir de cette compassion, de la colère à nouveau. Avoir pitié de lui, alors qu'il m'avait traité comme une merde?!
Mais un autre souvenir de remonter -
- Une dictée - l'une des dernières de l'année - où bien sûr, je devais "copier sur mon voisin" puisque je ne pouvais pas suivre le prof qui se baladait nonchalamment dans les rangées - et durant cette dictée, souffler à mon voisin - qui était l'une des rares personnes avec qui je m'entendais à peu près correctement - "hé, ça ne s'écrit pas comme ça "palet", ça s'écrit "palais", l-a-i-s - lui me répondant par une expression - non j'te crois pas - "si j'te dis" - lui se fermant encore plus, signifiant par là "je t'écoute pas, c'est toi qui te plantes" - moi énervé, n'insistant pas - on va rendre la dictée - je réessaie de le convaincre - lui pas d'accord - et prenant à témoin derrière nous, ce type, qui me dit - d'un air presque affligé, geste à l'appui - "ben si, c'est le palet (sic) de la bouche" - je m'énerve un peu plus, il me prend pour un con ce type! "oui je sais, et ça s'écrit pas e-t!" - lui me renvoyant "demande au prof, tu vas voir" - mon voisin demandant au prof une fois les copies rendues - et le prof me donnant raison! -mon voisin de se refermer encore plus - et lui bec cloué, vexé d'avoir eu tort, me regardant - non, ne me regardant même pas, évitant mon regard sans aménité -

mais sans me chercher noise, pas comme avec les autres filles.

Pas comme avec les autres filles ?

- Et de me redresser d'un bond - Et d'exhumer à toute allure les souvenirs de ma mémoire - La troisième avait certes été l'une des années les moins pire du collège-lycée - juste derrière la première - mais quand même nettement éprouvante - je n'avais pas de coalition contre moi, mais déjà ma réputation - une partie des filles m'acceptait sans trop de problèmes, mais sans accepter que je me mêle vraiment à elles - les garçons ne m'approchaient pratiquement pas, sauf deux d'entre eux avec qui j'étais pote sans plus - est-ce que j'étais encore le bouc émissaire proprement dit? Non - plus tellement. A l'écart, oui, mais plus tellement bouc émissaire, puisque j'avais à la rigueur ce qu'on pouvait appeler un ou deux potes - Mais alors - y avait-il un bouc émissaire? - Un autre que moi ? - Pas dans les filles - Et dans les mecs ? Pas vraiment non plus - Sauf peut-être...
Sauf - Eh merde.
Sauf le mec sur lequel les filles racontaient des milliards de crasses. Le mec qu'aucune fille n'aimait. Le mec que toutes cassaient derrière son dos. Le mec qui les ignorait carrément quand il ne les emmerdait pas.
Et merde. Bien sûr, c'était lui. Ca ne pouvait être personne d'autre que lui.

L'emmerdeur de service des filles. L'emmerdé de service par les filles.
Qui n'avait jamais levé la main sur moi. Qui n'avait jamais dit une seule crasse sur moi.


Pourtant, entre nous, l'inimitié avait été nette. Immédiate. Je te pife pas, tu me pifes pas, et on s'évite un max, c'est clair ? Ca avait été clair durant toute l'année. A l'époque, je lui en avais voulu de me snober en permanence. D'une part. Parce que, d'autre part, je préférais encore ça à du tabassage en règle. Alors on se foutait mutuellement une paix royale. Je n'avais jamais sorti un mot sur lui, alors que les filles le cassaient à cœur joie. Il ne s'était jamais foutu de ma gueule en public, ni derrière mon dos, et j'avais fait de même. On ne s'était jamais battus, ni presque adressé la parole de toute l'année. Il ne m'avait jamais emmerdé, contrairement aux autres filles qu'il faisait bien chier. A l'époque, j'avais rangé ça dans le comportement typique de l'âge bête : les mecs emmerdent les filles qui les intéressent et/ou qu'ils n'aiment pas, et inversement, et celles qui ne sont pas emmerdées, c'est celles dont tout le monde se fout.
J'en avais conclu que pour lui j'étais rangée d'office dans la catégorie "rien à foutre". Et, quelque part, je l'avais détesté pour ça, en même temps que je lui avais obscurément su gré de me ficher la paix.

Et ma colère est progressivement tombée, comprenant qu'elle était peut-être sans fondement...
Au fond, pour être tout à fait sincère, je n'avais pas grand-chose à lui reprocher à part son mépris et son indifférence vis-à-vis de moi.
Ou ce que j'avais pris pour du mépris et de l'indifférence... et qui n'était peut-être qu'une façade, dictée à la fois par son propre statut au sein des filles, et mon statut au sein de la classe. Déterminée par l'atmosphère merdique de ce lycée.

J'en étais là, lorsqu'arriva la messe de fin de weekend, qui réunissait tous les groupes du territoire. Nos groupes se sont retrouvés côte à côte, mais ma maîtrise adossée sur le côté du hangar et la sienne tout au fond.
Pendant la messe, j'ai tourné la tête dans sa direction - sans même savoir pourquoi.
Et j'ai vu son regard fixé sur moi, sans aucun mépris dans son expression.
Lorsqu'il a vu que je le regardais, il n'a pas détourné le regard tout de suite, mais s'est instantanément cadenassé derrière son indifférence.

C'est là que j'ai compris qu'en fait il m'avait reconnu.
Et que cette indifférence ostensible signifiait tout sauf de l'indifférence.

Pour autant, je n'ai pas pu aller l'aborder directement... Trop de souvenirs, trop d'incertitudes. Trop d'anciens réflexes de défiance vis-à-vis de tout ce qui relevait des années de lycée. C'était déjà assez dur de savoir quelqu'un de mon passé à une telle proximité, de ne pas le condamner d'office, et de se convaincre qu'il n'allait pas m'exploser à la figure. Je croyais aussi deviner qu'il en était peut-être de même pour lui...
Auquel cas cette gêne qui m'immobilisait, il devait également l'éprouver - sinon plus fortement encore.
Trop de monde autour de nous, aussi.
Trop à faire avec la messe, les jeannettes à occuper, les cars à charger.
D'autant plus qu'on n'était plus dans le même car.
Si bien qu'on est partis chacun de notre côté, sans un mot de plus.

...Mais, je ne sais pas pourquoi, je sens que je vais retomber sur lui un jour...

Ne me demandez pas... je le sens d'ici, aussi sûrement que si j'étais le conteur.
Et pour tout dire, je n'ai pas trop envie de savoir le comment ni le pourquoi.
Pas pour l'instant...


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Commentaires
D
Il faut aussi reconnaître que, si je l'ai détesté, je ne l'ai jamais haï...
D
Peut-être - peut-être pas...<br /> Sans chercher le pessimisme, deux boucs émissaires (version soft) poussés par toute une classe à se rejeter la faute l'un sur l'autre, même s'ils y ont résisté, en gardent les marques... alors comment ne pas se rappeler de leurs anciens statuts lorsqu'ils se retrouvent nez à nez dix ans plus tard?...<br /> après, je ne dis pas qu'on ne peut pas dépasser ça... mais le malaise ne s'effacera pas instantanément non plus.<br /> M'enfin, il faut avouer qu'il n'était pas le pire.<br /> <br /> *GROSSE PENSEE pour l'enfoiré qui s'était assis sur mon classeur d'histoire de terminale après avoir mis une éponge mouillée dedans. Peu avant un devoir sur table dans cette matière, bien sûr.*<br /> <br /> Je supporte pas les emmerdeurs fiers de l'être. Voilà, je crois que c'était ça aussi en fait ^^. Il en était... mais comme je l'ai dit, ce n'était peut-être qu'une façade.<br /> <br /> Bref. L'avenir le dira!
B
Et alors ??? Peut-être bien que ça va finir en jolie rencontre, cette histoire !!!
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